Emeutes, attroupements : l'article L. 211-10 CSI, le levier méconnu pour obtenir une indemnisation

Oui, l’État peut indemniser les victimes de blocages, attroupements...

Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : « L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. (…) »

L'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou délits déterminés commis par des rassemblements ou attroupements précisément identifiés.

Le fait que le rassemblement ait été prévu et organisé ne fait pas, en soi, obstacle à la mise en œuvre de la responsabilité de l'État sur le fondement de l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure.

- CE, 3 octobre 2018, Commune de Saint-Lô, n° 416352

- CE, 7 décembre 2017, Commune de Saint-Lô, n° 400801

- CAA Versailles, 10 juin 2020, n° 16VE03339

 

Le ministère de l’intérieur, dans une réponse publiée dans le JO du sénat du 13 décembre 2018 (page 6451) avait précisé :   

 « Dans le cas d'une manifestation qui s'accompagne de violences ou de dégradations, c'est le lien avec la manifestation qui est déterminant – ce lien n'étant rompu que lorsque leurs auteurs ne se sont organisés que pour commettre ces délits. En revanche, lorsque les dégradations, même lorsqu'elles résultent d'un acte organisé, s'inscrivent dans le prolongement de la manifestation, elles entrent dans le champ du régime des attroupements prévu à l'article L. 211-10 précité. »

Il est jugé :

« 18. S'il résulte de l'instruction que le délit d'entrave à la circulation perpétré sur la voie publique à l'occasion de ces manifestations a pu présenter un caractère organisé et prémédité, quoique la conduite de ces actions révèle, par elle-même, un certain degré d'improvisation, ces faits, survenus dans un contexte de revendication d'ampleur nationale n'ont cependant pas été commis par des groupes qui se seraient constitués et organisés dans le seul but de commettre ce délit, sans lien avec le mouvement revendicatif des Gilets Jaunes, contrairement à ce que soutient le préfet de l'Eure, en défense. S'il ne résulte pas de l'instruction que ces manifestations ont été le théâtre de la commission d'autres délits, les dégradations dont se prévalent les sociétés requérantes ne pouvant, eu égard à leur légèreté, être regardées comme entrant dans le champ délictuel au sens de l'article 322-1 du code pénal et le délit d'entrave à la liberté du travail n'étant pas établi, en l'espèce, les modes d'action utilisés par les manifestants, notamment la mise en place de barrages, caractérisent, par eux-mêmes, un recours à la force ouverte, les manifestants ayant fait montre, de leur pouvoir de contrainte par un déploiement de force de nature à engendrer la crainte et à dissuader toute velléité de franchissement des obstacles. Dans ces conditions les dommages résultant des actions de ces manifestants doivent être regardés comme le fait de délits commis à l'occasion d'attroupements ou de rassemblements au sens de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure. Il suit de là que ces agissements sont de nature à engager la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement de ces mêmes dispositions, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la rupture d'égalité devant les charges publiques. »

TA Rouen, 7 juillet 2022, n° 2002112

« Contrairement à ce que fait valoir le préfet en défense, la circonstance que les actions violentes menées lors de ces journées de mobilisation aient pu être commises de manière préméditée et organisée, à l'appel de plusieurs initiateurs, notamment via les réseaux sociaux, et à l'aide d'armes par destination dont étaient munis certains manifestants, ne suffit pas, à elle-seule, à exclure la responsabilité sans faute de l'Etat en application de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure s'il est établi que les dommages résultent, de manière directe et certaine, de délits commis à force ouverte ou par violence dans le prolongement de la manifestation et ne sont pas le fait de groupes isolés, spécifiquement constitués et organisés dans l'unique objectif de commettre une action délictuelle, sans lien avec la manifestation. »

TA Toulouse, 21 avril 2022, n° 1904438

Un barrage filtrant permet bien de caractériser le délit d’entrave à la circulation et d’engager la responsabilité de l’État sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.

CAA Nancy, 1er juin 2021, n° 19NC01330

Le Conseil d’État a récemment jugé :

« 3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les actions de blocage et de filtrage de la circulation en cause ont été menées par une dizaine à une quarantaine de manifestants, revêtus de gilets jaunes, qui ont mis en place des barrages, à l'aide de camions, de palettes et de pneus ou encore de divers objets, pour filtrer le passage, en interdisant l'accès aux poids-lourds transportant des marchandises ou en l'autorisant seulement pendant une tranche horaire restreinte. Il en ressort également que ces actions, qui se sont prolongées pendant près d'un mois malgré plusieurs interventions des forces de police, s'inscrivaient dans le cadre d'un mouvement national de contestation annoncé plusieurs semaines avant les faits, notamment sur des réseaux sociaux, et qui a conduit à la mise en place de nombreux barrages routiers sur l'ensemble du territoire. Il en ressort enfin que ces actions, qui avaient pour motif l'expression d'un mécontentement, n'avaient pas pour principal objet la réalisation des dommages causés à la société requérante et aux autres personnes affectées par ces blocages. Par suite, en estimant que les préjudices invoqués par la société Lib Industries ne pouvaient être regardés comme imputables à un attroupement ou à un rassemblement au sens des dispositions précitées de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. »

CE, 28 février 2025, Société Lib Industries, n° 473904

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